Le management bienveillant : le secret des équipes engagées
La transformation des modes de travail crée de nouvelles attentes chez les collaborateurs. Pour susciter l’engagement, les dirigeants doivent créer un équilibre entre la nécessité d’équité et la recherche de la performance. Explications avec Raphäl H. Cohen de l'Université de Genève.
La crise sanitaire et plus généralement, la transformation digitale des entreprises et la généralisation du télétravail, ont un impact fort sur nos environnements et nos méthodes de travail. Alors que le présentiel est en passe de devenir l’exception plutôt que la norme, et que la résilience des entreprises se mesure au regard de l’ agilité de leurs processus organisationnels, les dirigeants doivent revisiter leurs pratiques managériales pour maintenir la mobilisation de leurs équipes.
La digitalisation, mais aussi la distanciation et la place de la génération Y et Z dans le monde du travail, ont entraîné un changement dans les mentalités. La relation des collaborateurs à l’entreprise, à leur manager et à leur poste n’est plus la même. En revanche, les prérogatives des dirigeants restent inchangées : il s’agit toujours pour eux d’atteindre leurs objectifs, d’assurer la continuité des activités et de soutenir la performance et le développement de l’entreprise.
Alors, comment les managers peuvent-ils concilier les impératifs de productivité et l’épanouissement professionnel de leurs collaborateurs ? Comment peuvent-ils créer des conditions qui favorisent l’engagement et la loyauté ? La réponse se trouve peut-être dans ces cinq mots : le management équitable et bienveillant. Explications avec Raphaël H Cohen, directeur académique de la spécialisation leadership entrepreneurial du Executive MBA de l’Université de Genève (Unige) et pionnier de la notion de leadership équi-bienveillant en entreprise.
Pour certains, la bienveillance en entreprise est synonyme de bon nombre d’idées reçues. Pourriez-vous nous donner une définition du management bienveillant ?
Raphaël H Cohen : Le management bienveillant n’est pas un management « bisounours ». C’est un management qui vise à prendre en compte l’intérêt de l’autre. C’est un management inclusif, qui accepte l’idée que je dois aussi m'occuper des intérêts de mes collaborateurs, et non pas uniquement des miens en tant que dirigeant. Je ne parle désormais plus de management bienveillant, mais de management équitable et bienveillant, ou de management équi-bienveillant. La bienveillance n’inclut pas automatiquement l’équité et s’il y a bien une chose qui est source de frustration et de mal-être, ce sont les problèmes d’équité tels que le favoritisme, les abus de pouvoir ou les promesses non respectées. C’est pour cela qu’il faut être à la fois bienveillant et équitable.
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Comment un dirigeant peut-il susciter, cultiver et renforcer l’engagement de ses collaborateurs ?
Raphaël H Cohen : Pour faire simple, il y a quatre paramètres à l’engagement. Il faut que les activités effectuées soient porteuses de sens, que l’entreprise soit pérenne ou ait un avenir, que les collaborateurs soient traités de manière équitable et évoluent dans un environnement bienveillant. Ces quatre grands paramètres s’accompagnent d’une multitude de sous-paramètres.
Parmi les outils préconisés pour obtenir de l'engagement, il y a celui qui consiste à créer une charte des équipes engagées . L’idée consiste à réunir tous les collaborateurs pour se mettre d’accord sur les règles du jeu. On y retrouve six composants, dont un qui concerne les comportements attendus. Parmi ces comportements, une rubrique est dédiée à la gestion des réunions.
Pour que les réunions soient efficaces, il faut définir les règles du jeu.
Par exemple, est-il acceptable que des participants traitent leurs emails pendant une réunion ? Est-il acceptable d’arriver en retard ? Est-il acceptable de monopoliser le temps de parole ? Les collaborateurs ont des attentes parfois divergentes vis-à-vis des réunions. Si des personnes prennent tout le temps et systématiquement la parole, l’équipe peut par exemple convenir d’une règle qui consiste à dire que sur un sujet donné, chaque collaborateur ne peut s’exprimer qu’une seule fois et pour un certain pourcentage du temps alloué à la discussion de ce point.
Cette charte est une co-construction de toute l’équipe et ne doit jamais être imposée par son manager. C’est d’ailleurs pour cela que parmi les différentes rubriques de cette charte, l’une est consacrée au respect des règles. Il convient de décider quelles seront les personnes chargées de les faire respecter. Là encore, c'est l'équipe qui va choisir le dispositif de respect, tout simplement parce que lorsque les décisions sont co-décidées et co-construites, elles doivent être appliquées. Bien entendu, cette charte ne se limite pas à la gestion des réunions. Elle va beaucoup plus loin en s’intéressant à la solidarité et au respect, afin de permettre à l’équipe d’être plus performante dans son ensemble.
En quoi être un manager bienveillant est-il plus efficace que d’autres dispositifs en matière d’engagement ?
Raphaël H Cohen : Des collaborateurs investis sont plus performants. Des études montrent que l’engagement des collaborateurs augmente la productivité et les profits de l’entreprise jusqu'à 35%, ce qui est colossal. Si, en tant que dirigeant, votre performance vous paraît satisfaisante alors qu’elle a été réalisée par des personnes peu engagées, il est logique de supposer que cette performance serait encore plus élevée si elles l’étaient. Et pour ce faire, il faut savoir mettre en œuvre la bienveillance et l'équité, et en mesurer leurs effets sur le score d’engagement obtenu.
Il a été abondamment démontré qu’un bonus, une hausse de salaire ou toute autre forme de rémunération ont un impact qui ne dépasse jamais trois mois sur le niveau d'engagement et de motivation des collaborateurs. L’argent est, en réalité, le plus mauvais. J’enseigne le management dans des hôpitaux dans lesquels il n’y a aucune incitation financière. Et pourtant, vous y trouvez des personnes très, très engagées. La supposée corrélation entre carotte financière et engagement est un mythe. D’ailleurs, parmi les 54 leviers de l’engagement que j’ai identifiés, l’argent n’y figure pas. Ce que les collaborateurs attendent, c’est de l’équité partout, y compris dans les mécanismes de rémunération.
Par ailleurs, l’opinion des managers sur ce qui contribue à l’engagement n'a aucun effet sur la réalité : c'est une construction mentale. Un dirigeant peut très bien penser que verser un bonus contribuera à l’engagement de ses équipes, mais ce bonus n’aura aucun impact si les collaborateurs, eux-mêmes, estiment que ce bonus ne les motive en rien. Par contre, l’engagement suscité par le manager compte pour 70% de l’engagement global .
Comment les dirigeants peuvent-ils mettre en œuvre un management bienveillant ? Quels sont les prérequis ?
Raphaël H Cohen: Faire appel aux leviers de l’engagement est quelque chose de très personnel qui dépend davantage des valeurs du manager que de son intelligence relationnelle . Une personne qui serait capable de vendre père et mère pour de l’argent ne pourra jamais devenir bienveillante, parce que ses valeurs sont intrinsèquement incompatibles. Il faut posséder des valeurs de base qui vont dans ce sens. Accepter d’être bienveillant, c’est aussi accepter de renoncer, en partie, à des choses qui nous plaisent.
Parmi les 54 leviers de l’engagement que j’ai répertorié, 18 contribuent à la bienveillance. Bien sûr, personne ne peut activer ces 54 leviers. D’abord, parce que ce serait beaucoup trop, mais aussi parce que cela dépend des personnalités. Il appartient à chaque manager d’identifier ceux qui lui correspondent et d’en mesurer l’impact sur ses équipes. Il n’y a pas de recette miracle.
Existe-t-il une manière efficace de mesurer l’engagement que les dirigeants suscitent chez leurs équipes ?
Raphaël H Cohen: Il est difficile de mesurer la bienveillance et l’équité sans faire appel à des outils. Je peux, en tant que dirigeant, avoir la conviction que je suis bienveillant. Mais en fin de compte, c’est vous, en tant que collaborateur, qui percevez ou non ma bienveillance. Je peux être persuadé d’être digne de confiance. Mais là encore, c’est vous qui pourrez me dire si je le suis ou pas.
Nous avons développé une plateforme qui s’appelle Eazy Mirror . Elle permet de créer gratuitement des sondages pour connaître la perception qu’ont les collaborateurs de leur manager ou même entre-eux. Un questionnaire est envoyé à une liste de personnes prédéfinies. Le logiciel consolide ensuite les réponses de manière anonyme pour assurer la sécurité psychologique des collaborateurs, puis les transmet à la personne qui a été évaluée. Cette dernière est la seule à pouvoir accéder aux résultats. On peut, de cette manière, mesurer le niveau d’engagement que suscite le manager ou la perception que ses collègues en ont.
Cette mesure peut changer la manière de voir le fonctionnement des organisations. Actuellement, les types d’évaluations effectuées de façon périodique contiennent toute une série de paramètres. Une partie de ces paramètres sert, in fine, à savoir si le cadre suscite ou non de l’engagement. Mais ce sont les moyens qui sont mesurés, et non le résultat. Si vous pensez, par exemple, qu’être participatif et inclusif est un bon moyen d’obtenir de l’engagement, ce postulat ne sera pas toujours démontré dans les faits. Il ne faut pas confondre la finalité et les moyens. En mesurant l'engagement en tant que finalité, la responsabilité de l’amélioration du score d’engagement revient au manager. L’entreprise n’est plus prescriptrice : au manager de trouver la manière d’améliorer l’engagement de ses collaborateurs en fonction de sa personnalité et de son style.
Pour le manager, il n’y a rien de plus gratifiant qu’un bon score d’engagement. Il témoigne pour les collaborateurs de leur épanouissement tout en assurant une performance optimale à l’employeur. Le travail à distance avec des équipes engagées devient ainsi tout à fait naturel.