Organiser une réunion constructive : le rôle et la place des réunions (virtuelles)
La pandémie a changé la façon d'organiser des réunions. Dans cette interview, le professeur Joseph A. Allen, spécialiste des réunions, explique comment organiser et animer de bonnes réunions dans cette « nouvelle réalité ».
« Vous ne pouvez pas deviner ce que vous ignorez : découvrez ce qui se passe dans vos réunions afin de les améliorer ». La pandémie de COVID-19 a modifié la façon d’organiser les réunions au sein des entreprises, les faisant passer de réunions en présentiel à des réunions virtuelles. Cependant, ce que beaucoup d’organisations n’ont pas encore réalisé, c'est que les pratiques permettant l’optimisation des réunions s'appliquent également aux réunions virtuelles.
Nous avons invité le professeur Joseph A. Allen, spécialiste des réunions, auteur du livre « Suddenly Virtual: Making Remote Meetings Work », et directeur du Center for Meeting Effectiveness (CME), à partager son point de vue sur les défis que représentent les réunions à l’heure de la « nouvelle réalité », sur le rôle des dirigeants dans ce nouvel environnement et sur les moyens dont disposent les entreprises pour organiser de bonnes réunions.
La pandémie de COVID-19 a entraîné un changement soudain des réunions au sein des organisations, qui sont passées des réunions en présentiel aux vidéoconférences. Quel impact cela aura-t-il sur les organisations à long terme ? Les entreprises organiseront-elles un jour les mêmes réunions qu'avant 2020 ?
Prof. Dr. Joseph A. Allen: C'est cette question qui m'a poussé, ainsi que ma co-auteure Karen Reed, à écrire le livre « Suddenly Virtual : Making Remote Meetings Work ». Le changement a été soudain. Tout le monde est rentré chez soi et il n’était plus possible de se parler ou d’interagir à moins de deux mètres de distance. Ces règles ont été observées, et continuent à être observées, depuis plus d’un an. La bonne nouvelle, c'est que la plupart des entreprises disposaient déjà d'un outil prêt à l'emploi : les réunions virtuelles. Tenir une réunion par webcams interposées est ce qui a permis de continuer à collaborer comme nous le faisions en 2019, et même avant.
Parce que le changement s’est effectué rapidement, beaucoup de personnes n'étaient pas prêtes à cette transition. L'année dernière, en mai, tout le monde était à la recherche d’une webcam ou d’un nouvel ordinateur pour pouvoir travailler efficacement depuis chez soi, et ces produits se sont trouvés en rupture de stock. De plus, selon la nature de l’entreprise, certaines personnes n’avaient, jusqu’alors, qu’une ou deux réunions virtuelles par semaine, voire même seulement quelques-unes par an. Soudain, toutes les réunions sont devenues virtuelles.
La pandémie a contraint la plupart des personnes à ne plus communiquer qu’en ligne. Il n’était plus possible de croiser ses collègues dans le couloir ou de passer une tête dans un bureau pour poser une question. En d'autres termes, les réunions virtuelles ont obligé tout le monde à faire preuve de plus de stratégie et à planifier davantage leurs réunions. Les choses que nous avions l’habitude de faire sur notre lieu de travail et au cours de nos réunions en face à face sont plus difficiles à faire virtuellement - par exemple, obtenir rapidement une clarification en passant devant le bureau d’un collaborateur.
Il est important de noter que bon nombre des choses dont je parle dans mon livre sont des pratiques d'excellence datant d'avant la pandémie. Je les avais déjà soulignées, et mes collègues de science des réunions, les professeurs Rogelberg et Lehmann-Willenbrock, les avaient également déjà mentionnées dans leurs études et leurs livres. Environ 70 à 80 % des pratiques de réunion d'avant la pandémie s'appliquent aux réunions virtuelles.
Il s’agit de pratiques telles que :
- commencer la réunion à l'heure
- s'assurer que tous les participants qui doivent être présents le sont
- avoir un ordre du jour de la réunion , et
- définir clairement l'objectif de la réunion.
Ces pratiques n'ont pas changé parce que les participants se réunissent derrière un écran. En fait, elles sont même devenues plus importantes PARCE QUE nous évoluons dans un environnement virtuel. D'autres choses ont changé, des choses auxquelles les gens n'étaient pas préparés, comme « la fatigue des réunions Zoom ». En 2019, nous savions tous que les réunions pouvaient être fatigantes. Dès lors, pourquoi s’attendre à ce qu'elles ne le soient pas au moins, sinon plus, durant une pandémie et dans un environnement virtuel ?
Être derrière un écran, ou voir son visage en permanence à l’écran, a eu comme effet de rappeler aux gens à quel point ils détestent les réunions. Il n'est pas possible d'avoir des conversations annexes pendant une réunion virtuelle. La fonction de chat n’apporte pas du tout le même résultat. Et la participation est également différente, puisque c’est à l’animateur de la réunion de donner la parole. Beaucoup de choses ont changé, et cela a modifié notre façon de travailler.
Dans votre livre, vous mentionnez que « des entreprises entières tentent de mettre à niveau l’ensemble de leurs compétences collectives afin de naviguer au mieux dans un monde où la vidéo est le principal canal de communication ».
Pourriez-vous nous donner des exemples où de bonnes réunions contribuent à la réalisation des objectifs d'une organisation, en particulier dans des configurations à distance ? Y a-t-il des choses à ne pas faire en matière de réunions (virtuelles) ?
Prof. Dr. Joseph A. Allen: Les réunions sont essentielles au fonctionnement d'une organisation. Dans les ateliers que j’anime, je demande aux participants de penser à leur organisation et de me dire comment ils travailleraient s’ils ne pouvaient pas organiser de réunions. Lorsqu'ils commencent à y réfléchir, ils se rendent compte qu'ils ne le savent pas.
Bien sûr, il existe des secteurs dans lesquels les gens n'ont pas besoin de se réunir souvent, voire même pas du tout, pour effectuer leur travail. Cependant, dans la majorité des entreprises, les réunions sont essentielles. Sans les réunions, les organisations ne seraient pas en mesure de se coordonner, de collaborer et de prendre des décisions.
Le problème, c'est que nous ne savons pas très bien comment organiser les réunions. Avant la pandémie, plus de la moitié des réunions étaient jugées médiocres. Ce que le professeur Rogelberg et moi-même avons découvert lors de nos premières études, c’est qu'une réunion improductive en entraîne d'autres, souvent improductives elles-aussi. Les personnes qui n'ont pas compris la discussion lors de la première réunion auront souvent besoin d'une autre réunion pour obtenir des réponses à leurs questions.
Sans les réunions, les organisations ne seraient pas en mesure de se coordonner, de collaborer et de prendre des décisions.
Par conséquent, les réunions peuvent ralentir les choses lorsqu'elles ne sont pas bien animées. Lorsqu'elles sont bien menées, les bonnes réunions optimisent l'organisation. Elles favorisent l'engagement des employés, ce qui est une caractéristique forte des équipes innovantes et performantes.
La deuxième partie de votre question porte sur « les choses à ne pas faire » dans le cadre des réunions.
L'une d'entre elles est la suivante :
Ne commencez pas vos réunions en retard
Les réunions qui commencent avec cinq à dix minutes de retard sont en fait pires que les mauvaises réunions qui commencent à l'heure. Pensez à ces mauvaises réunions. Si elles commençaient à l'heure, elles seraient probablement encore mauvaises, mais elles ne seraient pas médiocres. Il est scientifiquement prouvé que les réunions qui commencent en retard sont médiocres, ou du moins, plus susceptibles de l'être.
L'une des raisons pour lesquelles elles sont médiocres est parce qu’elles induisent un état d'esprit négatif chez les participants. Cette humeur négative engendre des comportements négatifs, comme se plaindre, qui perpétuent la négativité dans l'environnement de la réunion. De plus, cette négativité entraîne la formation de préjugés défavorables sur la personne à l'origine du retard.
C'est l'une de mes premières découvertes. Le respect des horaires définis pour la réunion impacte la satisfaction et l'efficacité des discussions. Il affecte le processus et l'engagement des personnes au cours des réunions.
Un autre point à ne pas négliger :
Les réunions à la suite
Si nous ne nous donnons pas la possibilité de nous reposer, lorsque nous arrivons à la troisième ou quatrième réunion, nous ne sommes plus capables de présenter de nouvelles idées. Nous sommes épuisés. Avant la pandémie, nous nous déplacions d'un bout à l'autre du bâtiment. En chemin, nous pouvions boire un verre d’eau ou aller aux toilettes. Nous avions cette transition, alors qu'avec les réunions virtuelles, il n'y a souvent pas de temps de transition.
Pensez, par exemple, à l’école. Nous donnons à nos enfants une période de transition pour qu'ils puissent passer d'une matière à l'autre. Pourquoi ne le faisons-nous pas dans nos réunions ?
Ainsi, lorsque vous programmez une réunion, assurez-vous que vous n'utilisez pas le système par défaut (c'est-à-dire une réunion de 60 ou 30 minutes). Organisez vos réunions pour une durée de 50 minutes ou 25 minutes, et respectez cette durée. La plupart des trucs et astuces pour rendre les réunions efficaces ne sont pas compliqués. Ils ne vous demandent que de faire un certain nombre de petites choses qui, ajoutées les unes aux autres, modifient considérablement la façon dont nous vivons les réunions.
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Quel est le rôle des directeurs dans les réunions, et pourquoi ce rôle est-il important dans la manière d’organiser les réunions ?
Prof. Dr. Joseph A. Allen: Ils ont plusieurs rôles.
1. Les dirigeants donnent l'exemple
En matière de réunions, les directeurs donnent le ton pour rendre la réunion efficace. Ils dirigent souvent les réunions, où ils sont en position de leader. Si les directeurs organisent des réunions efficaces, les autres collaborateurs vont naturellement calquer leur comportement sur le leur.
C’est l’effet du mimétisme et de l'influence du leader, qui sont des ressorts psychologiques très basiques. Si vous êtes dans une posture de leader et que vous adoptez un comportement, tout le monde croit que ce que vous faites est juste/approprié et vous suivra. C'est vrai pour les réunions, et pour bien d'autres choses.
2. L'influence des dirigeants est importante
Les directeurs sont capables de définir et de mettre en œuvre des attentes en matière de réunions. Par exemple, si un directeur déclare : « Nous n'avons plus de réunions de 60 minutes », vous devrez alors prévoir des réunions plus courtes, en accordant peut-être un temps de récupération à vous-même et aux autres. Ou s'il dit : « Vous pouvez vous déconnecter s'il n'y a pas d'ordre du jour, ni d'objectif clair pour la réunion », alors ce type de comportement change toute la portée des réunions.
Une chose à retenir est que l'influence des dirigeants est importante pour changer la culture organisationnelle , en particulier la culture des réunions.
3. Les dirigeants doivent collecter des données concernant les réunions
Le rôle des directeurs les aide également à collecter des données, soit en chargeant quelqu'un de le faire, soit en le faisant eux-mêmes. Ils peuvent mettre en place un processus de collecte d'informations sur le déroulement des réunions au sein des équipes. En procédant ainsi, les dirigeants en apprennent davantage sur leur culture de réunion, ainsi que sur les défis ou les opportunités.
Nous supposons trop souvent que tout le monde sait comment organiser une réunion efficace. En réalité, la plupart des gens n'organisent pas de bonnes réunions. Cela est dû au fait que savoir et faire sont deux choses différentes.
En tant que directeur, si vous recueillez des données, vous obtiendrez une vue d'ensemble de votre organisation afin de comprendre sur quoi il faut vous concentrer pour rendre les réunions plus efficaces. Cela diffère d'une personne à l'autre, d'une organisation à l'autre. Un exemple fascinant est celui de deux départements différents d'une grande entreprise. Nous avons constaté que dans l’un d’eux, 80 % des réunions ne comprennent que deux personnes, tandis que dans la seconde, 75 % des réunions en comprennent trois ou plus.
Cela ne semble pas être une grande différence, mais en réalité les dyades sont bien distinctes. Dans les deux cas, il existe toute une science sur leur fonctionnement. Pour rendre leurs réunions plus efficaces, les conseils donnés à ces groupes doivent être différents.
En tant que directeur, il est important de réfléchir aux réunions, à leur environnement et à ce qu'il en est pour vos collaborateurs. Vous devez montrer l'exemple, et recueillir des données pour savoir comment les choses se passent pour votre équipe et votre organisation.
Selon vous, si les dirigeants accordaient plus d'attention ou de valeur aux réunions au sein de leur organisation, quels seraient les avantages concrets et mesurables pour eux ?
Prof. Dr. Joseph A. Allen: Si les dirigeants accordaient plus de valeur à leurs réunions, ils changeraient leur comportement. Ils attendraient des autres qu'ils changent leur comportement également, et ils garderaient une trace de leurs réunions.
Nous avons constaté que certaines organisations observent une augmentation de 10 à 30 % de l'engagement de leurs employés lorsqu’elles mettent en place de meilleures pratiques de réunion. Pas même les meilleures pratiques, mais simplement de meilleures pratiques.
Tout le monde n'est pas au même niveau, il faut y penser. Certaines personnes ont déjà compris que le fait d'avoir un ordre du jour et de commencer à l'heure augmente l'engagement. Elles constatent également une augmentation du temps consacré aux activités non liées aux réunions.
L'un des défis des organisations est le nombre élevé de réunions. La pandémie a exacerbé ce phénomène. Nous organisons aujourd'hui plus de réunions que jamais auparavant. Ces derniers mois, j'ai constaté que les organisations ayant de meilleures pratiques ont moins de réunions et sont plus efficaces. Cela signifie qu'elles disposent de plus d'espace dans leur agenda pour faire autre chose que de se réunir.
Certaines organisations observent une augmentation de 10 à 30 % de l'engagement de leurs employés lorsqu’elles mettent en place de meilleures pratiques de réunion.
On constate une forte augmentation du nombre de réunions, ce qui conduit les gens à souffrir du « syndrome de récupération des réunions ». Pouvez-vous expliquer en quoi consiste ce syndrome et comment les directeurs peuvent contribuer à le réduire au sein de leurs équipes ainsi que pour eux-mêmes ?
Prof. Dr. Joseph A. Allen: Tout d'abord, je les encouragerais à modifier leurs paramètres par défaut pour se débarrasser des réunions à la suite. Il n'y a pas d'intervalle entre les réunions et c'est ce qui manque, la récupération.
Deuxièmement, je conseillerais aux dirigeants de faire un point sur les réunions. Encore une fois, vous ne pouvez pas deviner ce que vous ignorez. Il existe des organisations capables d'extraire les données de vos agendas et de vous donner un aperçu du fonctionnement de vos réunions. Les données existent et vous permettent de voir ce qui a changé au cours de la pandémie et d'y remédier.
Le problème de la récupération après les réunions est que, trop souvent, nous avons des réunions dans notre agenda qui sont une perte de temps. Si vous vous dites : « Je ne récupérerai jamais cette heure », alors c’est que cette réunion n’a probablement pas lieu d'être. Par exemple, la réunion récurrente que vous organisez chaque semaine depuis dix ans, avec un ordre du jour qui n'est plus d'actualité. Rien ne change, rien ne se passe. Cette réunion aurait pu être un e-mail. Il y a des réunions comme ça. Vous devez soit les annuler, soit les rafraîchir en tenant compte de l'objectif de cette réunion.
Je recommande aux dirigeants un processus de réflexion. Regardez votre agenda et demandez-vous :
- « Quel est le but de cette réunion ? »
- « Est-ce qu'elle nécessite une collaboration ? »
Si la réponse est oui aux deux questions, alors la réunion doit avoir lieu. Cela vaut également pour une nouvelle réunion, si vous envisagez d'en organiser une nouvelle.
Demandez-vous quel est l'objectif et s'il nécessite une collaboration. Si vous ne pouvez pas répondre par l'affirmative à ces deux questions, ne prévoyez pas de réunion. Envoyez un e-mail. Non pas que nous ayons besoin de plus d'e-mails, mais si nous avions moins de réunions, nous serions en mesure de rattraper notre retard dans nos boîtes de réception.