Surinformation : voici comment prendre les bonnes décisions
La surinformation est une problématique omniprésente dans le monde moderne et pose divers problèmes pour les organisations. Cet article aide les dirigeants à mieux gérer la surcharge informationnelle et à prendre les bonnes décisions.
L’humanité a généré un volume plus élevé d’informations dans les 30 dernières années qu’en deux mille ans d’histoire et ce même volume se multiplie par deux tous les 4 ans.1 De nos jours, à moins de vivre au sommet d'une montagne, coupé du monde, l'information est partout et elle nous parvient quotidiennement par le biais de multiples canaux. Nous sommes exposés à l'information via la télévision, notre smartphone, dans la rue... et les moyens pour que l'information nous parvienne sont multipliés avec Internet, où les notifications, les réseaux sociaux et les publicités en ligne s’entremêlent. Filtrer les informations pertinentes revient donc à notre responsabilité et peut constituer un véritable défi. À cet égard, pour ne pas nous sentir dépassés, nous devons nous appuyer sur des stratégies.
Cette richesse d’information est particulièrement utile pour le monde des affaires, qui l’utilise pour affiner ses offres et ses services : le "big data", l'analyse prédictive et la "business intelligence" prennent une place de plus en plus importante dans les processus de décision des organisations. Amazon est l’un des exemples les plus connus ayant bâti un empire notamment grâce à l'utilisation du big data : en collectant toutes les données de ses clients, le groupe est capable de proposer une expérience entièrement personnalisée.2
Cependant, au milieu de cet océan d’information, la question de la surinformation se pose. On peut effectivement se demander quel est l’impact du volume des informations disponibles sur la qualité des décisions prises par les dirigeants. Cette considération pourrait sembler être rapide à démentir par les capacités croissantes de traitement d’informations disponibles, du type “machine learning”, capables de traiter beaucoup plus d’information que le cerveau humain. Or, nul ne peut se limiter à ce constat, car de nombreuses décisions en entreprise reposent toujours sur l’individu, qui, en situation de surcharge informationnelle, se retrouve en difficulté pour prendre les bonnes décisions. En effet, les aspects individuels sont les plus nécessaires, car les humains prennent des décisions et en sont responsables. L'IA peut fournir des informations, mais ne peut pas décider à notre place.
Cet article cherche à comprendre ce qu’est la surcharge informationnelle et quels sont les problèmes qu’elle pose au sein de l’entreprise. Enfin, il tente de délivrer quelques conseils pour prendre les bonnes décisions dans un contexte de surinformation.
Surinformation ou encore “infobésité”: définition
On parle de surinformation lorsqu'un individu est exposé à trop d'informations ou de données, ce qui le rend incapable de les traiter et de les analyser correctement. On peut également employer le terme de surcharge informationnelle ou d'infobésité. Ce concept a été popularisé dans les années 1960, lorsque les canaux médiatiques se sont fortement multipliés avec la radio, la télévision, les téléphones portables et l'internet. Ultérieurement, leur utilisation a aussi considérablement augmenté : smartphones, augmentation du débit, chaînes de télévision et de radio en continu, emails, blogs, réseaux sociaux, publicité en ligne... ce qui a conduit au fait que l'information soit de plus en plus présente, partout, tout le temps.
En fait, dès les années 50, le psychologue cognitif George A. Miller s'est penché sur le sujet et a établi que la mémoire tampon du cerveau humain ne pouvait traiter qu'environ 7 informations simultanément, plus ou moins 2 (c'est-à-dire entre 5 et 9).3 Et des recherches plus récentes ont même considéré que ce chiffre était surestimé, se situant en réalité plutôt autour de 3 ou 4 informations capables d'être traitées à un instant T.4
Dans le monde moderne, il est clair que notre cerveau est exposé à bien plus que 3 ou 4, voire 9 informations à la fois. La surcharge informationnelle est donc fréquemment une source de dysfonctionnement dans les organisations. En perturbant l'individu et en le rendant incapable de traiter l'information de manière adéquate, l'infobésité entraîne de multiples problèmes dans les entreprises.
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Quels sont les problèmes liés à la surinformation ?
Une pression sur l’individu et son activité professionnelle
Les dirigeants sont directement impactés par la surcharge informationnelle. Et pour cause, les chiffres sont sans équivoque : 74 % des managers déclarent souffrir de surinformation. De plus, ils sont 94 % à penser que la situation ne va faire qu’empirer. En effet, les dirigeants passent jusqu'à 20 heures par semaine à lire et écrire des e-mails, et passent 25% de leur temps à rechercher de l'information.5 Ceci les conduit à un sentiment d’urgence généralisé qui génère du stress et affecte leur travail quotidien.
Au niveau des employés, les impacts sur la productivité et sur les coûts sont, eux aussi, colossaux : une étude de la firme américaine Basex s’est penchée sur le sujet. En analysant le comportement d’employés de bureau de plusieurs organisations, elle a constaté qu’ils consacrent près d’un tiers de leur temps à consulter leurs emails, leur messagerie instantanée et leur smartphone. Selon l’étude, cette baisse de productivité s’élève à une perte financière de 588 milliards de dollars.6
Le poids de la surcharge informationnelle sur l’individu en entreprise est élevé, qu’il soit dirigeant ou subordonné :
- il sature ;
- il s’expose à la désinformation - ou le fait de consommer des informations qui l’induisent en erreur, cachent ou modifient des faits ;
- sa productivité baisse ;
- son stress augmente et
- il risque au final le surmenage au travail .
Pour éviter de telles pertes et pour préserver le bien-être des employés et le leur, les dirigeants des entreprises doivent trouver des moyens de structurer l'information qui leur parvient. Car, en plus d’être néfaste pour la productivité et le confort professionnel quotidien, l’infobésité menace grandement les organisations.
Une menace pour l’efficacité de l’organisation
Compte tenu du volume croissant des informations qui nous parviennent, et des faits précités, l’entreprise est clairement menacée par la surcharge informationnelle, sous diverses formes :
- Une activité chronophage : le traitement de l’information est une tâche supplémentaire, non comptée dans les heures de travail. Faire le tri dans tous les stimulis qui nous parviennent prend du temps, ce qui pose un problème stratégique pour les dirigeants et leurs subordonnés : voici du temps qu’ils ont en moins de disponible pour se concentrer sur la prise de décisions et l'exécution, ce qui conduit à des coûts d'opportunités. De plus, cette perte de temps peut conduire au fait que le travail empiète de plus en plus sur la vie personnelle, pouvant favoriser le surmenage au travail.
- Une augmentation de l’anxiété : l’auteur Richard Saul Wurman a nommé ce concept “l’anxiété informationnelle”, qui représente l’état psychologique néfaste dans lequel un individu se retrouve lorsque l’écart entre ce qu’il comprend est ce qu’il pense qu’il doit comprendre est important.7 Or, on sait que le stress ne fait pas bon ménage avec la prise de décisions, pourtant essentielle pour le bon fonctionnement de l’organisation.
- Une perte d’informations importantes : en étant noyées dans l’infobésité, certaines données pertinentes, qui auraient le mérite d’être considérées dans le processus décisionnel, sont malheureusement ignorées. Il est prouvé par exemple que jusqu'à 35% des emails ne sont jamais lus.8
- Une exposition accrue à la désinformation : certains individus et organisations profitent malheureusement de l’infobésité et de la confusion qu’elle crée chez les consommateurs de l’information, pour manipuler l’information, c'est-à-dire modifier les faits ou en cacher une partie. Cette désinformation est un véritable problème d’analyse dans les entreprises : elle ajoute une couche de difficulté dans le tri des informations, puis impacte les décisions et la compétitivité.
Un terrain propice aux biais cognitifs affectant la prise de décision
La surinformation facilite l’installation de biais cognitifs affectant la prise de décision. En voici quelques exemples :
- Effets de “primauté” et de “récence” Ce biais tend à favoriser les premières et les dernières informations consultées.9 L’individu se désintéresse donc inconsciemment du reste du flux informationnel.
- Le biais de confirmation, quant à lui, concerne la tendance inconsciente à favoriser les informations s’alignant avec nos propres croyances, plutôt que celles qui les infirment. De plus, des considérations sociologiques ont également pour effet de modifier la façon dont nous utilisons les informations.10
- Le biais de l’information partagée : il est plus facile de partager des informations connues par le groupe, que celles dont seule une minorité est au courant. Il s'avère que les informations peu connues sont partagées seulement dans 18 % des cas, contre 46% pour les informations connues.11
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L’ effet de groupe est un autre biais connu de la prise de décision : les individus en groupe ont tendance à ne pas partager toutes les informations et à se rallier à l'opinion générale, par confort et par peur d’opposition.
Toutes ces conséquences de la surcharge informationnelle, en ayant un impact direct sur les individus dans les organisations et en affectant la qualité des décisions, exposent l'organisation à des pertes de productivité, de coûts et de compétitivité. Avoir conscience de cette situation et tout mettre en œuvre pour naviguer parmi les informations pléthoriques, afin de prendre les bonnes décisions, est essentiel dans le monde moderne. Mais, comment éviter la surcharge informationnelle ? Comment prendre les bonnes décisions malgré cette situation ? La section suivante vise à apporter des éléments de réponse à ces problématiques pour aider les dirigeants à prendre les bonnes décisions.
Comment prendre de bonnes décisions malgré la surcharge informationnelle ?
Comme nous l'avons vu, l'information ne manque pas à notre époque. Pour chaque question, une simple recherche sur Google vous donne une pluralité de solutions. Le défi pour les organisations aujourd'hui est de naviguer dans le flux ininterrompu de la surcharge informationnelle pour y trouver les bons éléments et prendre les bonnes décisions.
Cependant, prendre la bonne décision avec les bonnes informations est plus facile à dire qu'à faire. Voici cinq façons d'y parvenir :
1. Identifiez ce qui sera mesuré
Une citation de Peter Drucker, une des personnalités les plus connues et les plus influentes de l’histoire en termes de management, disait “Ce qui est mesuré est contrôlé, et ce qui est contrôlé peut être amélioré”. Soyez donc clair sur les objectifs que vous souhaitez atteindre et sur les raisons qui les motivent. Cela vous aidera à sélectionner plus facilement les informations nécessaires. Référez-vous au plan d'action, assurez-vous de suivre les KPI et OKR définis , et recentrez vos actions.
2. Faites preuve de concision et d’esprit critique
Tenez-vous responsable des informations que vous utilisez et partagez, tout en les remettant en question. Une boîte mail vide à la fin de la journée n'est pas un signe de productivité, car envoyer un énième e-mail dans le cyber-espace ne signifie pas que le message reçu sera égal au message envoyé. Les préjugés et l'interprétation peuvent rendre confus le plus simple des messages, c'est pourquoi le suivi et la responsabilité des informations partagées renforcent l'intention derrière le message et rendent la collaboration plus efficace.
Tenez-vous responsable des informations que vous utilisez et partagez, tout en les remettant en question.
3. Surveillez les environnements interne et externe
Mieux vous vous tiendrez informé des initiatives, défis et changements internes et externes, plus il vous sera facile de prendre les bonnes décisions. Ce conseil visant à vous pousser à vous surinformer peut sembler contre-intuitif afin de réduire la surcharge informationnelle, pourtant la sensibilisation à l'environnement est essentielle pour avoir une compréhension holistique, qui vous permet de prendre les bonnes décisions et de gérer l’information que vous consommez. C'est un paradoxe : vous avez besoin de beaucoup d'informations pour ne pas être surchargé d'informations. Tout est question de structure afin de pouvoir filtrer les informations à votre disposition.
En effet, pour prendre les bonnes décisions, il convient :
- de disposer de toutes les informations nécessaires et
- de bien les interpréter.
Si vous n'apprenez pas en temps réel ce qui se passe autour de vous - en interne (c'est-à-dire sur le plan culturel et organisationnel) et en externe (c'est-à-dire le paysage commercial) - vous interprétez les informations d'une manière dépassée et vous risquez de perdre votre temps à rattraper votre retard. La concurrence, les clients et la technologie évoluent trop rapidement pour vous permettre de vous laisser distancer par la courbe d'information.
4. Utilisez le pouvoir des réunions efficaces pour faire circuler les bonnes informations
Une réunion efficace exerce divers effets positifs sur la prise des bonnes décisions face à l'infobésité :
- Tout d'abord, l'établissement d'un ordre du jour de réunion efficace permet de clarifier les objectifs et les priorités. Avant la réunion, la communication asynchrone sur les différents points de l'ordre du jour et le partage d'informations en temps réel permettent à tous les participants d'être pleinement informés, alignés et préparés quant aux dernières informations utiles. Le jour de la réunion, chacun peut se concentrer sur la prise de décisions efficaces.
- Deuxièmement, le processus de réunion (que ce soit pendant la phase de collaboration asynchrone précédant la réunion ou pendant la réunion sous forme d'échanges directs), permet de passer en revue les enseignements tirés, de consolider la conscience collective de ce qu'il faut faire et ne pas faire, et de renforcer la responsabilisation des équipes. Personne ne peut dire "je ne savais pas".
- Enfin, en favorisant le dialogue, les processus de réunion renforcent la confiance et la sécurité psychologique en entreprise - deux éléments qui ont des effets positifs sur la productivité, l'efficacité et la prise de décision.
5. Visez les 70%
La quantité d'informations disponibles étant en constante augmentation, il n'est pas possible de disposer de toutes les informations à un instant T. Pour chaque décision, fixez donc des échéances claires : un jour, une heure ou une phase particulière du projet où vous devez décider et quoi. Ensuite, le fait de baser votre analyse sur un taux d'achèvement de 70 % vous donne suffisamment de certitude pour avancer et ne bloque pas le progrès en attendant les 30 % restants. En outre, comme tout évolue constamment, il est vain d'attendre la solution parfaite. Ne vous laissez donc pas paralyser par trop d'analyses. Prenez une décision, visez les 70% et itérez si nécessaire.
L’infobésité, une question critique pour les organisations
Si non gérée, l’infobésité peut générer des coûts humains et financiers importants. Nous avons vu en quoi la surcharge informationnelle peut menacer l’individu dans l’organisation, dirigeant et subordonnée, mais également l’organisation elle-même sous diverses formes. L’infobésité peut ainsi affecter le bien-être des équipes, leur productivité, mais aussi la compétitivité et la prise de décision en entreprise. L’entreprise peut néanmoins lutter contre ce phénomène en structurant l’information et en la considérant comme stratégique, tout en développant la culture de l’information et du travail collectif.
Ainsi, en suivant les bonnes pratiques délivrées au sein de cet article, les dirigeants devraient pouvoir trouver des clés pour se frayer un chemin de clarté au sein des informations abondantes dans lesquelles ils évoluent quotidiennement.
1 “ Infobésité, gros risques et vrais remèdes ”, Cairn Info, 2014.
2 “ Comment les entreprises utilisent l’analyse Big Data dans le monde réel ? ”, Le Big Data, 2020.
3 “ The Magical Number Seven, Plus or Minus Two Some Limits on Our Capacity for Processing Information ”, George A. Miller, Harvard University, 1955.
4 “ From the Research: Myths Worth Dispelling Seven Plus or Minus Two ”, Janne Farrington, 2011.
5 “ Tribune de Caroline Sauvajol-Rialland : Objectif Zero email, Thierry Breton précurseur ? ”, Le Monde Informatique, 2011.
6 “ Comment éviter que la surinformation ne nuise aux organisations ”, Les Affaires, 2009.
7 “ Pourquoi avoir trop d’informations peut être un frein aux (bonnes) décisions ”, HBR France, 2016.
8 “ 35% of Emails Are Left Unread: A Data-Driven Analysis of Email Use ”, Email Bird, 2020.
9 “ L’effet de primauté et l’effet de récence ”, Misterfanjo, 2021.
10 “ Confirmation Bias: A Ubiquitous Phenomenon in Many Guises ”, Raymond S. Nickerson, 2013.
11 ” Blind Spots, Biases, and Other Pathologies in the Boardroom ”, Kenneth A. Merchant & Katarina Pick, 2010.